A prime abord, on remarquera que la constitution n’est pas nouvelle car elle ne met pas sur pied une nouvelle république mais elle se contente de modifier la constitution actuelle en y ajoutant d’autres institutions. Fondamentalement, il s’agit d’un régime présidentialiste et non présidentiel avec un président de la république doté de pouvoirs importants et renforcés.
Secundo, toutes les langues nationales ont été élevées au statut de langue officielle. C’est un symbole important mais en réalité même si le français conserve toujours sa place décisive puisqu’elle est la langue de travail (article 31) et il est bien normal car nos langues ne sont pas pour le moment des langues scientifiques.
La constitution énumère des droits politiques et sociaux, également des devoirs (A) et répartit le pouvoirs entre les différentes institutions (B)
A – L’énumération des droits et libertés publiques et des devoirs :
Le projet de constitution énumère une série de droits politiques et sociaux (article 1 à 22). Elle développe une longue série de devoirs (article 22 à 29). Pour certains, la description des droits et libertés publiques est une bonne chose. Pour d’autres, elle est fastidieuse et redondante car elle pouvait préfigurer dans le préambule de la constitution pour former le bloc de constitutionnalité. D’ailleurs, le projet se réfère déjà à ses droits notamment la déclaration des droits de l’homme de 1948 et la charte africaine du 18 juin 1981. Elle peut donc être de nature à alourdir le contenu de la constitution.
Ensuite, il est étonnant alors qu’aucune liberté ou droit n’est réellement défini, qu’on fasse une exception sur la question de la laïcité. La laïcité sans la définir dans la constitution renvoie à la séparation du politique et du religieux. C’est un secret de polichinelles. Cela veut dire que l’Etat n’a pas de religion officielle. Or, par cette disposition, on a surtout voulu faire plaisir aux religieux alors qu’il était surtout utile d’envoyer un message de clarté sur la dissociation entre le temporel et le spirituel. Bien entendu, la laïcité impose également le respect de toutes les croyances sans distinction. Cela n’a t’il jamais été le cas en république depuis 1960 ?
Sur la question des devoirs, une mention retient l’attention qui est la possibilité de mobilisation des jeunes de 18 ans (article 24). C’est un devoir supérieur s’imposant à chacun mais pour aller au bout de la logique, peut-être auraient-ils été mieux inspirés de le traduire au travers d’un service militaire facultative ou obligatoire qui préparerait bien avant la naissance des conflits les jeunes à cet état de fait et qui entre autre leur donneront les bases d’une éducation civique supplémentaire.
Une constitution n’énumère pas que des droits, son but ultime est d’organiser le pouvoir de l’Etat.
B – L’organisation du pouvoir :
La nouvelle constitution ou la constitution modifiée serait plus appropriée, prévoit sept (7) institutions (article 36) là où le précédent prévoyait huit (
. La Haute Cour de justice n’est plus tout comme le haut conseil conseil des collectivités territoriales érigé en sénat. La cour des comptes compte, qui était un souhait des institutions communautaires et sous régionales compte parmi les nouvelles institutions

Par rapport au président de la république, les prérogatives du président sont renforcées. Il n’est rééligible qu’une seule fois pour un mandat de 5 ans (article 45). Ce n’est plus le gouvernement qui détermine la politique de la nation mais le président (article 44). Dans les faits, cela a toujours été le cas. Mais la disposition corrige une transposition littérale du droit français dans notre droit car à l’origine de la 5• république française, c’était le premier ministre qui devait gouverner et non pas le président de la république.
Il dispose de pouvoirs étendus : droit de nomination du premier ministre et des membres du gouvernement (article 57), aux emplois civils et militaires (article 67), des ambassadeurs (68), droit de soumettre une loi à référendum (article 60), de dissolution (69). Lorsque les institutions sont menacées, il peut recourir au césarisme constitutionnel en concentrant les pouvoirs exécutif et législatif entre ses mains (article 70). Il est le chef des armées (article 63)
Il promulgue les lois (article 59), dispose en autre du droit de grâce et propose les lois d’amnistie (article 65). Il signe les décrets et les ordonnances (article 66), communique avec le parlement par un message qu’il fait lire (article 62).
En matière de devoir, le président de la république, et après son investiture transmet sa déclaration de patrimoine dans les 7 jours à la Cour suprême (article 58). C’est une régression par rapport à l’article 37 ancien qui prévoyait un délai de 48 heures et une déclaration publique (qui n’a certes jamais été pleinement respectée). Ma conviction est que cette déclaration de patrimoine doit s’imposer à tous les candidats à l’élection présidentielle antérieurement à l’élection elle-même à un organisme public chargé de la transparence tel que l’office national de l’enrichissement illicite (modification de la loi) et lui permettre de procéder aux vérifications utiles susceptibles d’éclairer la religion du citoyen à travers la publication.
Il s’adresse une fois par an au congrès (article 61). Il doit respecter son serment et agir dans l’intérêt supérieur de nation sous peine d’être poursuivi de haute trahison (article 73). Cependant, il est à remarquer que si on prévoit une majorité qualifiée des deux tiers pour la mise en accusation, en ce qui concerne le vote il est étonnant de constater une majorité simple alors qu’aucun quorum n’est exigé. S’il est important d’assurer l’équilibre des pouvoirs, il ne faut pas non plus mettre le président élu par le peuple à la merci des parlementaires.
Par rapport au gouvernement, il conduit la politique de la nation (article 76) et est responsable devant le président (article 78). Cependant, le gouvernement n’est plus responsable devant le parlement. Ce qui traduit une prééminence du pouvoir exécutif. Il est assez curieux dans un régime qui n’est pas tout à fait présidentiel (droit de dissolution de l’assemblée nationale du président) que le gouvernement ne fasse ni de déclaration de politique générale suivi d’un vote ni qu’il ne soit soumis à la censure du parlement. En résumé, on n’équilibre pas les pouvoirs mais on le renforce contrairement aux attentes au profit de l’exécutif. Danger !
Ensuite, il nous paraît redondant l’exercice de la déclaration d’un plan d’action qui ressemble à une déclaration de politique générale après le discours à la nation du chef de l’Etat, d’autant que le parlement ne peut sanctionner le gouvernement à travers un vote. La déclaration du premier ministre risque de s’apparenter à celle du président de la république, une répétition superfétatoire. En vérité, le discours sur l’Etat de la nation inspiré du modèle américain est plus propre à un exécutif monocéphale et à une organisation complexe telle que le fédéralisme
Enfin, par rapport aux déclarations de patrimoine, je pense une fois de plus, qu’elles doivent être publiques et non seulement revêtir la forme d’une simple transmission et d’un simple accusé de réception de la Cour suprême. Il doit s’agir d’une véritable information publique conférée à un organe public qui aura des prérogatives d’enquête. Le délai de 30 jours paraît également excessif.
Par rapport au parlement, le parlement est désormais composé d’une seconde chambre : le sénat (article 95). Les sénateurs sont élus au suffrage indirect et un quart des membres sera désigné par le président de la république. Cette seconde chambre soulève des interrogations par rapport à son financement. Elle a un coût pour l’Etat et complexifie la procédure législative. Cependant, elle a le mérite d’assurer une meilleure représentativité des collectivités territoriales.
Sur la question des légitimités traditionnelles, il est inutile de rappeler que la nation est comme un corps humain. Chaque organe a un rôle précis. Le cœur ne peut jouer le rôle du cerveau tout comme le cerveau ne peut jouer le rôle de la colonne vertébrale. Les sages sont une référence qu’ils soient religieux ou traditionnels. Or en les admettant sur le terrain, on risque de politiser ces baobabs de la nation et par conséquent l’arbitrage sera difficile en cas de conflit. Il serait sage de créer un organe consultatif, dans lequel siège toutes ces légitimités selon un procédé de désignation propre à chacun. On doit créer les conditions d’un État efficacement organisé.
Un point à souligner est la représentativité des maliens de l’extérieur qui est un point très important pour les maliens qui vivent à l’étranger.
Par rapport au pouvoir judiciaire, La cour suprême est la juridiction suprême. Il n’existe donc pas de conseil d’Etat (article 95). Le président de la république est le garant de l’indépendance de la justice. Il préside le conseil supérieur de la magistrature (article 64). Il aurait été préférable que cette présidence soit assurée par le président de la Cour suprême, ce qui traduirait plus efficacement l’indépendance de la justice vis vis de l’exécutif. Le ministre de la justice sera chargé de superviser et de coordonner les travaux.
La cour constitutionnelle sera en charge de la régulation des pouvoirs publics. Elle est juge de la constitutionnalité des lois et garante des libertés publiques (article 144). La saisine de la cour constitutionnelle est obligatoire en ce qui concerne les lois organiques (article 147). Elle statue sur la régularité de l’élection présidentielle et des opérations de réforme et proclame les résultats définitifs (article 149). Elle statue également sur les contestations concernant les élections des députés et des sénateurs (article 150) mais aussi sur la constitutionnalité des engagements internationaux (article 152)
L’une des nouveautés majeures est le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception. Désormais tout citoyen pourra contester la constitutionnalité d’une loi devant les tribunaux. La requête est transmise par la Cour Suprême (article 153).
Sur la Cour des Comptes et le conseil économique et social, l’une est chargée de contrôler les comptes publics et de s’assurer de la sincérité des opérations (article 156 à 163) tandis que l’autre intervient dans le domaine économique, social environnemental et culturel et rédige un cahier des doléances(rapports) remis au président de la république
In fine le projet de constitution comme ci dessus présente des nouveautés mais elle ne diffère pas globalement des anciens projets de réforme. Elle ne change pas de république. Elle ne modifie pas substantiellement l’architecture institutionnelle de l’Etat mais elle se contente de les peaufiner, de corriger les insuffisances. On peut regretter une confusion en matière de régime présidentiel et de régime semi-présidentiel ou présidentialiste. En installant un exécutif bicéphale, sans responsabilité devant le parlement, on a certes voulu emprunter les traits du régime présidentiel sauf qu’en permettant la dissolution de l’assemblée nationale par le président, les rédacteurs sont sortis du cadre en hypothéquant au passage la séparation des pouvoirs et renforçant contre toute attente les prérogatives du président alors qu’il importait de les diminuer compte tenu des évolutions malheureuses du passé.
Enfin, il ne semble pas adéquat d’insérer les autorités administratives, les institutions militaires et les légitimités traditionnelles dans une constitution. Elle n’ont pas leur place car une constitution régit le pouvoir politique de l’Etat et définit les droits et libertés publiques. Or ni l’armée ni l’administration ni les légitimités ne constitue des pouvoirs au sens de la science politique et du droit constitutionnel.
Par ailleurs, les légitimités traditionnelles et religieuses malgré leur importance doivent rester à leur place. Ils constitue de véritables trésors de la société. En les entraînant sur le terrain politique en l’occurrence le sénat, on crée une concurrence qui n’a pas lieu d’être entre les membres des institutions et une forme d’allégeance certaine vis à vis a du président de la république. Toute chose que beaucoup n’avait pas manqué de contester lorsque le président Feu IBK le prévoyait dans son projet de réforme.
En somme, au vu de tout ce qui précède, la nouvelle constitution ne brille pas par son originalité ni pour sa profondeur juridique.

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