« Le juge, gardien de la règle de droit, pacificateur social, protecteur des droits, régulateur des institutions autant de qualificatifs que l’on puisse accorder à un être humain fort et fragile fait de ténèbres, d’orgueil et d’erreurs. Aucune société organisée n’a pu, ne peut et ne pourra se passer du juge, parce que la fonction de juger est consubstantielle à l’existence de toute société. Sa fonction d’aujourd’hui est façonnée en fonction et à l’image de nos exigences. Placé au sommet de la chaine, la société fait du juge l’ultime recours et fait de sa décision une vérité souvent contestable, souvent incontestable. Ces pouvoirs accordés au juge se justifient à travers les multiples obligations auxquelles, il est assujetti. Deux obligations aussi naturelles que légales sont l’indépendance et l’impartialité qui font du juge, un bon gardien, un bon protecteur, un bon régulateur, gages de stabilité sociale. Le citoyen est alors fondé à placer sa confiance à celui (juge) qui ne trahit point sa conscience. Par un tel jeu, le conscient rassure le confiant. Le confiant est non seulement satisfait du conscient mais également, celui-là accepte la décision de celui-ci, l’harmonie sociale est incontestablement garantie. Mais hélas, il n’en est pas toujours ainsi. Le juge qui se dérobe une fois de son exigence d’impartialité, l’édifice s’effondre, la justice disparaît, la société menacée de déflagration.
Conscient d’un tel danger, le législateur permet deux recours (préventif et curatif) pour lutter contre l’éventuelle partialité du juge. Dans son for intérieur, le juge qui sait ne pas pouvoir garder son impartialité doit s’abstenir, à défaut sa récusation peut être demandée. Le droit de récuser un juge quel qu’il soit est à la fois un droit naturel et un droit fondamental. Car l’on ne peut pas concevoir qu’une personne investie de la fonction de juger puisse être partiale. Autant dire que le droit à la justice est un droit naturel et un droit fondamental. Plusieurs instruments juridiques permettent de confirmer cette position. En effet, le droit de récuser le juge constitutionnel est d’ordre constitutionnel, législatif et conventionnel. De prime abord, il est calamiteux de confondre le droit de récuser le juge constitutionnel et la procédure de récusation du juge constitutionnel. Un vieux débat des processualistes : le droit déterminateur et le droit sanctionnateur, entre priorité et complémentarité, tend vers sa fin.
Si les instruments juridiques maliens sont lacunaires sur la procédure de récusation du juge constitutionnel, en revanche ces instruments sont abondants sur le droit de récuser le juge constitutionnel. Aucun processualiste ne saurait ignorer cette évidence. En lisant ce qui suit, le doute n’est plus permis sur l’existence d’un droit de récuser le juge constitutionnel au Mali. Il s’agit des textes suivants : l’article 10 de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 qui est une partie intégrale de la constitution du 25 février 1992 ; l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ; les principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire ; les principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature (1985) ; Les principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire (2002). l’article 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples adoptée par la conférence des chefs d’Etat de l’OUA (1981) entrée en vigueur en 1986, ratifié le 21décembre 1981 ; les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples adoptés, en sa 26ème session, tenue à Kigali en 1999 ; la n°02-54 AN-RM du 16 Décembre 2002 portant statut de la magistrature et le code de déontologie qui lui est annexé et faisant partie du statut, etc.
Le statut de la magistrature s’applique aux juges judiciaires et juges administratifs. Les conseillers de la Cour constitutionnelle qui sont des magistrats de profession relèvent soit du corps de juges administratifs soit celui de juges judiciaires. Il s’agit d’un corps unifié de magistrats qui comprend les magistrats des cours, des tribunaux et des justices de paix à compétence étendue. La loi mentionne « Cour » sauf si la Cour constitutionnelle n’est pas une « Cour ». La Cour constitutionnelle est à la fois, une administration, une institution et une juridiction. Lorsqu’elle statue sur le contentieux électoral, c’est en sa qualité de juridiction, pas plus. Les conseillers qui ne sont pas des magistrats de profession ne sont pas moins assujettis à l’obligation d’impartialité. Or admettre qu’ils sont aussi impartiaux, revient à dire qu’ils sont eux aussi récusables. La récusation est la mise à l’écart du juge soupçonné de partialité. Affirmer que la Cour constitutionnelle n’est pas récusable, c’est admettre que cette Cour n’a pas besoin d’être impartiale. Or si elle est amputée de l’impartialité, elle cesse d’être une juridiction. La récusabilité d’un juge est l’admission de la règle selon laquelle l’être humain n’est point parfait. Admettre l’irrécusabilité d’un juge c’est de le hisser au rang de Dieu, le tout puissant, le créateur. Seul Dieu dans sa fonction de juger est irrécusable. Ainsi, la Cour constitutionnelle saisit d’une requête aux fins de récusation qui la rejette pas pour absence de preuve, mais qu’elle n’est pas récusable, elle se hisse au rang de Dieu. La Cour constitutionnelle qui rejette une telle requête aux motifs qu’il n’y a pas de droit applicable commet un déni de justice, passible de sanction pénale. Le sage-humain peut être partial.
Une autre conséquence, si le juge constitutionnel est irrécusable, même lorsqu’il affiche publiquement un comportement partial, nous devons admettre cela, car il n’a pas besoin d’être impartial, donc irrécusable ».
Dr Mamadou Bakaye DEMBELE, Enseignant chercheur-spécialiste du droit processuel à l’USJB
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