Il était une fois un Peuple, un But, une Famille

Le Keita Ka Klan (KKK) est une organisation de suprématie familiale du Mali. Classée  supposément à  gauche sur l’échiquier politique malien, c’est une organisation de défense et de lobbying des intérêts  familiaux : le  KKK  prône la suprématie du CLAN (Compagnie des Liquidateurs Associés de la Nation)  sur le peuple. Rappelons que le CLAN est une triade composée des fossoyeurs de la République : politiques, douaniers et commerçants.

L’oligarchie : une démocratie sans le peuple

Le  KKK  est  d’abord  oligarque,  la  démocratie  n’étant  qu’un  prétexte  pour  accéder  et  formaliser  son  pouvoir. L’oligarchie est un système politique dans lequel un petit nombre d’individus ou de familles, une classe sociale restreinte et privilégiée, s’accapare le pouvoir. Au Mali, ce système oligarchique se perpétue de régime en régime, en dépit  des soubresauts politiques qui le secouent  de temps à autre.

En  effet,  le  Malien  accepte  son  sort  de  « mouton  qui  se  laisse  tondre  la  laine  sur  le  dos »  avec patience  parce  qu’il  nourrit  l’espoir  fou,  un  jour,  de  ramasser  les  miettes  du  pouvoir  auquel  aura accédé un homme de son clan. Ce n’est  ni  nouveau,  ni spécifique au Mali puisqu’en 1862, Flaubert écrivait dans « Salammbô1 »: « Bien que la puissance et l’argent se perpétuassent  dans les mêmes familles, on tolérait l’oligarchie, parce qu’on avait l’espoir d’y atteindre  ».  Huit  ans plus tard, en 1870, une  guerre  (franco  prussienne)  balayait  le  Second  Empire  de  Napoléon  et  installait  la  Troisième République qui sera elle-même emportée par la Seconde Guerre Mondiale.

Méfions-nous des guerres car un jour en haut, le lendemain au cachot, l’Histoire est si imprévisible…

Revenons  à  nos  oligarques  nationaux  bien  prévisibles,  eux,  en  revanche.  Il  existe  deux  types d’oligarchie : les oligarchies institutionnelles et les oligarchies de fait. Les oligarchies institutionnelles sont  les  régimes  politiques  dont  les  constitutions  et  les  lois  réservent  le  pouvoir  à  une  minorité  de citoyens. Les oligarchies de fait sont les sociétés dont le gouvernement est constitutionnellement et démocratiquement ouvert à tous les citoyens mais où, de fait, le pouvoir est confisqué par une petite partie  de  ceux-ci.  Vous  devinez  à  quelle  catégorie  appartient  notre  oligarchie.  Puisqu’il  faut  bien respecter le diktat de la Communauté internationale pour rester sous perfusion de l’Aide, cette drogue internationale qui nous conduit inexorablement vers une néo colonisation  de fait, nous avons opté, au Mali,  pour  une  oligarchie de fait. Mais pas n’importe quelle oligarchie : l’oligarchie  kleptocrate. Du grec « kleptos » (voleur) et « kratos » (pouvoir), la kleptocratie désigne un système politique où une ou des personnes à la tête d’un pays,  pratiquent à très grande échelle la corruption et la captation des richesses nationales au détriment de la population.

On connaît l’exemple de la famille Trabelsi en Tunisie  (encore  une histoire de belle-famille),  et de  la Russie de l’ère Eltsine (une conversion à l’ultra libéralisme soutenue par les institutions internationales et les pays occidentaux,  qui entraîna  le bradage des  actifs publics  au profit des amis d’Eltsine).  En Tunisie,  la  surprise  du  printemps  arabe  a  contraint  la  famille  Ben  Ali  -  Trabelsi  à  l’exil.  En  Russie, Poutine a contraint les oligarques à ne  plus  se mêler de politique : ceux qui ne l’ont pas écouté se sont retrouvés en prison  tandis que  d’autres ont préféré l’exil… Le pouvoir et l’argent ébranlés par  ce que  personne  n’a  vu  arriver :  un  peuple  éduqué  « ras  le  bolisé »  et  un  homme  perçu  comme manipulable  par  ceux  qui  l’ont  porté  au  pouvoir  mais  qui  s’est  révélé  encore  plus  avide  de  pouvoir qu’eux.

Méfions-nous  des  hommes  car  un  jour  courbés,  le  lendemain  au  sommet,  l’Histoire  est  si imprévisible…

Néanmoins,  relativisons  un  peu  dans  le  cas  du  Mali  car  nous,  Maliens,  sommes  loin  d’être  tous suffisamment  éduqués  pour  miser  sur  une  « révolution  internet »  et  nous  n’avons  plus  de  sociétés d’État à vendre depuis fort longtemps…

Mais  reconnaissez  quand  même  que  nous  sommes  très  forts:  nous  utilisons  les  principes démocratiques prônés par l’Occident pour  installer à la barbe du monde et des Maliens  un système digne de la Russie d’Eltsine.  Nous n’avons plus de sociétés d’Etat à vendre certes, mais nous avons, par exemple, de l’or qui ne brille pas pour tous les Maliens.  Et encore, le Mali n’a pas révélé toutes ses  richesses…  Patience  et  bientôt  les Wade  du  Sénégal  et  autres  Obiang  de  Guinée  Équatoriale feront figure de petits pilleurs tandis que les Maliens   continueront de conjuguer la misère par tous les temps, au présent et au futur.  Il  y a 24 siècles,  Aristote (384-322 A. J.-C.) écrivait  qu’ « Il est aussi dans  l’intérêt d’un tyran  de garder son  peuple pauvre, pour qu’il  ne  puisse  pas  se protéger par les armes, et qu’il soit si occupé à ses tâches quotidiennes qu’il n’ait pas le temps pour la rébellion ». Rien de bien nouveau sous le soleil.

En  réalité,  ce  que  nous  appelons  démocratie  n’est  qu’un  masque  destiné  à  permettre  à  ceux  qui trouvent  les moyens de financer une campagne électorale, d’accéder au pouvoir. Ces moyens sont volés au peuple, sous une forme ou une autre, et on pousse le cynisme jusqu’à demander à ce même peuple de désigner celui qui aura l’honneur de le plumer « légitimement », c’est-à-dire en son nom.

Une fois installés, ils s’empressent d’en faire profiter  ceux qui n’ont aucun mérite à  être fils de, voisin de,  beau-père  de,  ou  commerçant  financier  d’une  campagne  devenu  conseiller  spécial  de.  Cette oligarchie kleptocrate exerce une tyrannie par le népotisme pour imposer par la force une organisation destinée à faire du Mali sa propriété privée. Mais une tyrannie tout en douceur car il ne faut pas, n’est-ce pas, froisser une communauté internationale qui tient au respect de la forme démocratique pour ne pas, à son tour,  froisser sa propre opinion publique. L’essentiel est  de pouvoir  continuer à se shooter à  une  Aide  qui,  sans  effort  ni  talent  ou  génie  particuliers,  permet  à  quelques  médiocres  de s’engraisser rapidement et injustement en  asservissant  la population,  ceux  qui ne  font  pas partie du KKK, et en bradant  les richesses du  pays  en vue d’assouvir des fantasmes de puissance à la hauteur de l’impuissance de leur médiocrité si terriblement humaine.

La démocratie ou les nouveaux oripeaux de la dictature

Vous pensez que la tyrannie et la dictature passent par la violence bruyante du bruit des bottes et  des balles ? Les temps ont changé mes amis, les hommes ont appris et affûtent des armes autrement plus insidieuses  et  efficaces.  Chef  d’œuvre  de  la  littérature  d’anticipation  écrit  en  1932  par  un  Aldous Huxley visionnaire, le « Meilleur des mondes2 »  décrit ce que serait la dictature parfaite :  la réalité a, encore une fois, dépassé la fiction.

Extraits.

« Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. Les méthodes du genre de celles d’Hitler sont dépassées. Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. L’idéal serait de formater les individus dès la naissance en limitant leurs aptitudes biologiques innées.

Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et plus sa pensée est bornée à des préoccupations médiocres, moins il peut se révolter. Il faut faire en sorte que l’accès au savoir devienne de plus en plus difficile et élitiste. Que le fossé se creuse entre le peuple et la science, que l’information destinée au grand public soit anesthésiée de tout contenu à caractère subversif.

Surtout pas de philosophie. Là encore, il faut user de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser.

On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. En général, on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté ; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté.

Le conditionnement produira ainsi de lui-même une telle intégration, que la seule peur – qu’il faudra entretenir – sera celle d’être exclus du système et donc de ne plus pouvoir accéder aux conditions nécessaires au bonheur.

L’homme de masse, ainsi produit, doit être traité comme ce qu’il est : un veau, et il doit être surveillé comme doit l’être un troupeau. Tout ce qui permet d’endormir sa lucidité est bon socialement, ce qui menacerait de l’éveiller doit être ridiculisé, étouffé, combattu. Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. On observe cependant, qu’il est très facile de corrompre un individu subversif : il suffit de lui proposer de l’argent et du pouvoir »…

« …La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude …  ».

Le Nord peut se perdre, le KKK, lui, ne perd pas le Nord

Messieurs  les  membres  du  KKK,  vous  ne  pouvez  pas,  d’un  côté,  offenser  la  vertu  en  pratiquant allègrement le népotisme et, de l’autre, à travers  des  déclarations enflammées et tonitruantes sur la lutte contre la corruption, inviter vos concitoyens à plus de vertu.

Vous ne pouvez pas, d’un côté, servir grassement votre CLAN au seul mérite qu’il porte votre marque et, de l’autre, chanter le véritable mérite et exhorter votre peuple au travail.

Ils ont été nombreux à croire en vous et espérons qu’ils ne seront pas aussi nombreux à être déçus.

Depuis votre sacre international, vous voguez de pays en pays, mais de quand date votre dernière visite  à  Sabalibougou,  Kayes,  ou  Gao ?  Vous  rencontrez  émirs  et  souverains,  mais  de  quand  date votre dernière rencontre avec le peuple malien ?  Vos  conseillers ne sont  ni  les payeurs,  ni le peuple.

En revanche, celui qui paie et qui peut vous dire ce dont il a besoin, c’est le peuple malien.

Vous  voulez savoir  pourquoi ce peuple se meurt ?  Juste une  petite anecdote : un  entrepreneur qui vend un système qui permet d’économiser l’énergie consommée par les climatiseurs et  d’augmenter leur  durée  de  vie  de  façon  conséquente,  s’en  va  proposer  cette  innovation  au  DAF  d’un  Ministère.

Après avoir patiemment écouté  l’entrepreneur, le DAF lui répond : « Mais si  nous ne pouvons  plus changer les climatiseurs tous les cinq ans, de quoi allons-nous vivre ? ». On ne sait pas ce qui est le plus terrible dans cette réponse : son cynisme ou sa naïveté. Ce Malien, en volant l’argent destiné aux Maliens,  a-t-il  conscience  d’être  directement  responsable  de  la  mort  d’autres  maliens  en  les empêchant de se soigner, d’aller à l’école, de travailler, de disposer de latrines, de manger  ? Est-ce que le fait que son frère ou son père soit un assassin l’autorise à tuer à  son  tour,  sans se poser de questions ?  A  t’-il  abandonné  toute  trace  d’humanité  pour  devenir  définitivement  le  veau  sans conscience ni cerveau décrit par Huxley ?

Il vous répondra qu’il n’a pas le choix. Mais si, il a le choix, tout le monde a le choix, y compris celui de ne pas choisir et de subir. Fonctionnaires, si vous n’êtes pas satisfaits de vos conditions, vous avez au moins deux solutions :

  • au  lieu  d’étouffer  la  liberté  d’entreprendre,  créez  votre  entreprise  et  réconciliez-vous  avec  le travail,
  • au lieu de racketter plus pauvres  que vous,  organisez-vous  pour réclamer des améliorations  et réconciliez-vous avec le courage.

Les  retournements  inattendus  de  l’Histoire  nous  rendent  optimistes  et  avec  Aldous  Huxley,  nous pensons  qu’« Il  reste  encore  quelque  liberté  dans  le  monde.  Peut-être  les  forces  qui  la  menacent sont-elles  trop  puissantes  pour  que  l’on  puisse  leur  résister  très  longtemps.  C’est  encore  et toujours notre devoir de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous opposer à elles. »

Bon  appétit  les  KKKs,  le  peuple  malien  vous  salue  de  bien  bas,  là  où  vous  l’enfoncez inexorablement… Vous pouvez nicher sur l’Himalaya, ne croyez pas que cela vous grandisse.

Méfions nous des  sommets  but d’une vie  à atteindre,  car  chute  un jour  toujours  à  craindre:  l’Histoire est si imprévisible…

  1. Salammbô – Gustave Flaubert (1862) – Éditions Livre de Poche, 2011
  2. Aldous Huxley – Le meilleur des mondes (1932) – Pocket 2002

Aida Hadja Diagne

Aida H. Diagne
aidah.diagne@gmail.com
03/03/2014

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