Toute personne envoyée en Haïti fait un jour face à la fatigue. La vraie fatigue, celle qui s’écrase de tout son poids sur les épaules rendant chaque mouvement un peu plus difficile, celle qui pèse sur le moral pour étouffer la dynamique intellectuelle. Celle qui survient une fois dépassée celle plus superficielle, née de la moiteur du climat, des moustiques, des aléas gastriques, de la temporalité qui s’étire.
Je pensais fut un temps que cette plus lourde fatigue surviendrait inévitablement du constat des projets qui n’aboutissent pas, de la mise en place d’actions dont on ne témoignera jamais des résultats, puissent-ils un jour se révéler positifs. Je réalise à regret mon préjugé envers Haïti, d’avoir cru que seul son contexte pouvait être à l’origine de la fatigue. Mais en vérité, voilà, la fatigue a surgi de chez moi.
«Chez moi», c’est-à-dire ceux avec qui je devrais partager la même culture, les mêmes valeurs et idéaux, les mêmes modalités de travail, et surtout les mêmes raisons d’être réunis en et pour Haïti. « Chez moi », que cela soit la France, ma hiérarchie, mes partenaires directs ou indirects. La fatigue d’observer encore et encore la même hypocrisie des projets pensés, modélisés de l’autre côté de l’Atlantique répondant aux lubies d’étrangers qui s’enorgueillissent de façonner l’avenir d’Haïti. Ces projets enrobés de paillettes pour donner envie et ne pas faire face à un refus des Haïtiens, surtout quand on connaît la faiblesse des institutions haïtiennes à remettre en cause, voire à refuser un projet et l’argent qu’il représente. Ces mêmes projets où l’on prétend travailler avec des structures locales, alors que tout a déjà été défini, objectifs, modalités,… tout aura déjà été mis en place selon les normes étrangères. La fatigue et l’impuissance face aux réseaux puissants qui en sont à l’origine, dont les intérêts sont comme toujours détournés d’Haïti. Fatiguée de cette débauche d’experts figés dans leur science sans jamais s’adapter aux besoins concrets d’un pays qui requiert avant tout du pragmatisme et du bon sens.
Fatiguée d’avoir cru être plus valeureuse, que mes projets l’étaient tout autant. Fatiguée des critiques des institutions internationales envers les ONG et vice versa, chacun stigmatisant l’autre, chacun se pensant meilleur que l’autre, sans jamais remettre en cause sa propre action. Je suis de ces premières et je suis à un moment tombée dans ce même piège de l’ego de l’humanitaire qui sait mieux que les autres, et qui critique tous azimuts (bonne française que je suis). Mais finalement qu’est ce que je fais ici, sinon m’entêter à faire fonctionner des programmes au sein d’une institution qui peine à fonctionner ? Certes, les objectifs de ces programmes sont importants et nécessaires pour le développement d’Haïti et de ses générations futures.
Pratiquement, que faisons-nous réellement, sinon tenir à bout de bras les démarches administratives qui n’en finissent pas, remplir des tableaux, documents, graphiques, pièces jointes volumineuses, le plus souvent entre collègues étrangers pour gagner le temps que l’on aura perdu ailleurs, et donc inévitablement en oubliant d’intégrer nos collègues haïtiens ? Car peut-on parler de réelle participation quand on leur demande seulement de relire et de commenter des documents déjà rédigés ? Tout cela pour maintenir un semblant de fonctionnement afin de plaire aux bailleurs, et assurer qu’ils ne remettent pas en cause leur implication et ne se retirent pas des projets qui iraient alors s’éteindre, mettant à l’arrêt non seulement les actions en Haïti mais aussi les emplois des coopérants étrangers.
Nous sommes mandatés pour consolider des institutions, mais quelles contributions ou quelles alternatives apportons-nous, nous qui n’avons que peu mûri les profondes failles de ce système pour comprendre ce dont il a besoin ? Nous nous acharnons à maintenir un semblant d’ordre qui empêche l’effondrement total du système. Nous sommes les cautères sur des jambes de bois. Voici ce que nous faisons vraiment sous couvert d’appui à la reconstruction et au développement. Alors vraiment, qu’on ne me dise plus qu’ici en Haïti, certains projets sont plus valeureux que d’autres.
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